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16 février 2014

Un plat pour zombies

À une époque où tendent à disparaître les horloges dans les lieux publics et commerciaux, longtemps une commodité appréciée de la vie citadine moderne, il y a quelque chose d’insolite à aller voir une œuvre d’art qui rend hommage à l’omniprésent chronomètre, ce despote qui règle nos vies! Curieux, et encouragé par le concert d’éloges là où elle a été présentée, je suis allé voir au Musée d'art contemporain de Montréal, The Clock (2010) de l’artiste californien, établi à Londres, Christian Marclay.

Au départ, une idée simple, mais dont la réalisation a exigé des années de travail à Marclay et à ses assistants. Le concept de cette installation est assez original : dans un musée, transformer une salle en cinéma improvisé et y placer de confortables canapés blancs pour la projection d’une vidéo d’une durée de 24 heures dans laquelle, à des intervalles d’une minute, des clips tirés d’un millier de films où se voient une horloge ou une montre, pour ensuite la projeter à l’heure et à la minute précises où se trouvent réunis les spectateurs. De sorte que le temps fictif rejoint le temps réel du public. Et cela pendant les 1,440 minutes que composent les 24 heures de la vidéo.

Marclay est un véritable virtuose du montage visuel et sonore, ce qui explique en grande partie son succès. L’artiste s’inscrit dans ce qu’on a appelé une esthétique de l’appropriation, du remixage, d’échantillonnage et de reprise. Autant dire que l’oeuvre produite ainsi comporte comme seule originalité le traitement que l’artiste fait subir à des œuvres d’autrui. Symptôme de décadence de l’art? Fort probable vu que l’art de notre époque est sommé de répondre aux besoins culturels d’un public et des industries, ses fournisseurs. L’innovation et l’originalité se remarquent davantage par des prouesses techniques que par le sens qu’apporte la production artistique à notre vie.

Pour sa part, Marclay vampirise si bien des milliers de films à la recherche d’une image d’horloge ou de montre qu’il en résulte, malgré les différences d’un film à l’autre, une paradoxale homogénéité de l’image et du son. Sous son habile baguette d’apprenti sorcier, ces films perdent leur individualité en tant qu’œuvre d’art distincte (et peu importe leur valeur artistique) et seul un court extrait se voit fondre à un flux d’images marquant l’heure et la minute. Alors, The Clock semble réduire la réalité complexe du temps humain (dans le cas présent, le contenu narratif des films) à son simple appareil de mesure, mécanique à son origine, somme toute récente, devenue numérique aujourd’hui. À ce qui n’est au fond que l’une des représentations du temps, d’une finalité toute pratique, et pas forcément la plus instructive.

En tout, j’ai passé près d’une heure à regarder The Clock. Si, au départ, je cédais aux séductions de ce tour de force technique, minute après minute, je sentais se dissiper les attraits; l’étonnement et l’émerveillement du début se transformaient, une fois révélée la mécanique mise en œuvre, assez monotone malgré la diversité des clips, en une vive frustration devant des fragments de certains films que j’aurais aimé regarder. Enfin, une irritation croissante et un sentiment aigu de perdre mon temps (!) s’emparaient de moi et me précipitaient vers la sortie. 

À moins d’être un zombie, ou souhaiter le devenir, je m’imagine mal quelqu’un passer des heures entières, encore moins tout le cycle de 24 heures, devant The Clock. Mais tous les goûts ne sont-ils pas dans la culture?