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29 août 2017

L’impasse

Au sortir du musée, où j’étais allé voir l’exposition d’un « artiste de renommée internationale », je ne cessais de me répéter, tel un mantra, cette impression qui me hante depuis quelque temps déjà : l’art contemporain se trouve dans une impasse. 

Si j’avais eu ce jour-là à me commettre en rédigeant un texte aux sonorités dignes d’une autre époque, dans le genre : « Décadence et fin prochaine de l’art contemporain », j’aurais immédiatement abandonné cette folle idée, car expliciter, développer, argumenter et défendre pareille thèse dépasseraient largement mes compétences. Je ne suis pas historien, ni théoricien, ni commissaire, ni artiste, ni un peintre du dimanche, moins encore un collectionneur par manque d’argent et d’intérêt. Pas même un « amateur » qui manifeste sa passion pour l’art. Et si la trentaine d’articles que j’ai publiés sur l’art depuis 1992, principalement des comptes-rendus d’expositions, m’ont permis d’acquérir une connaissance de nombreuses œuvres, cela ne permet aucunement de m’affubler du titre de critique d’art. Cette énumération de métiers ou activités que je n’exerce pas n’a d’autre objectif que situer clairement mes propos au dehors de toute discipline scientifique ou de pratique artistique.

L’art contemporain se trouve dans une impasse : voilà une impression tenace chez moi, comme à la sortie de ce musée, qui arbore fièrement à son fronton les mots art contemporain, comme devant cette exposition d’un « artiste de renommée internationale ». Identifier le musée, nommer l’artiste, décrire ses œuvres, cela ne contribuerait rien à ma réflexion. Il ne s’agit pas de regarder du bas vers le haut cette vaste scène où, en permanence, artistes et musées, productions et lieux d’expositions, à tout moment et partout, nous en mettent plein la vue. Non, je veux planer en quelque sorte au-dessus de ce spectacle en continu pour en saisir la portée et les impacts sur ce « spectateur avisé », que je crois être.

Hélas! À quel saint se vouer quand on aborde l’art contemporain, voire l’art tout court? Même un lecteur efficace et passionné se noierait rapidement dans l’océan de textes : livres, articles de revue et de journaux, écrits divers dans les blogues et autres sites, dossiers de presse promotionnels des commissaires ou des galeristes, qui, dans une langue abstraite, les saupoudrent de citations d’autorité ou plus simplement par du name dropping. À cette production textuelle s’ajoutent les innombrables vidéos sur le sujet. Devant ce raz de marée, on regrette la disparition de nos jours de la critique d’art comme genre littéraire, par lequel, au milieu des mots écrits, respire et soupire une personne, ce « spectateur avisé », qui, pour se saisir d’une œuvre, n’hésite pas à se servir dans son collimateur de sa formation, de ses connaissances et préjugés, de ses goûts et dégoûts, d'un talent d’écriture. Un genre littéraire qui offre à l’auteur une certaine marge de liberté pour l’expression subjective. Maintenant prédomine la chronique journalistique, souvent insipide, toute vouée à nous informer, quitte à servir d’annonce publicitaire gratuite. Ou, à l’opposé, le discours érudit sur l’art diffusé par les historiens et les philosophes, tout empêtré de considérations relatives à leur cadre théorique et à de questions méthodologiques.


Pourquoi et surtout comment l’art contemporain se trouve-t-il dans l’impasse? Et une impasse vers quelle issue? Pour répondre à ces questions, je pourrais facilement me satisfaire du point de vue de celui, traditionaliste, conservateur ou réactionnaire, qui manifeste son incompréhension devant les œuvres, les productions ou les projets (les trois mots ne sont pas synonymes) présentés comme de l’art contemporain, voire son hostilité devant toute innovation artistique. Mais cette posture ne me convient guère. Pourquoi se priver de contempler quelques magnifiques spécimens d’art que recèle la prolifération actuelle en renonçant à porter un regard plus perspicace par delà la masse d’objets médiocres? Pourquoi, selon le fameux dicton, jeter le bébé avec l’eau sale? Si j’entends « planer en quelque sorte au-dessus de ce spectacle en continu », ce doit être pour m’attaquer à ce qui pose problème dans l’expression « art contemporain », nommément le vocable contemporain

À l'avenir, je compte agir en spectateur avisé, l’effort critique s’accordant alors une place pour l’expression subjective. Comme devant ce collègue et ami qui me prodiguait, avec justesse, des explications au sujet des œuvres de cet « artiste de renommée internationale », mon embarras n’a su lui répondre que par un seul mot : cet artiste ne me rejoint pas! L’impasse de l’art contemporain ne serait-elle donc pas celle de ne pas mériter de «passer» dans notre expérience esthétique? Du moins dans la mienne. 




27 juin 2017

Critique : À la recherche d’Expo 67



Avec la fraîcheur de cette soirée de la mi-octobre, dans un autocar affrété pour un groupe scolaire, un garçon de 18 ans quitte, avec ses compagnons de classe, sa lointaine ville minière en route vers le monde. Le lendemain, il foule pour la première fois l'asphalte de la Métropole, qui, un an plus tard, deviendra son lieu de résidence définitif. Mais pour l’heure, pendant quatre jours, il sillonne sans arrêt le site d’Expo 67. Parmi les pavillons thématiques que le jeune homme visite figure celui de la Cité du Havre baptisé Le génie créateur de l’Homme, qui abrite une extraordinaire exposition de tableaux et sculptures prêtés par plusieurs pays représentés. Parmi ces chefs d’oeuvre de l’histoire de l’art, un en particulier émerveille ce visiteur peu rompu aux arts plastiques et qui lui a laissé un vif souvenir : un autoportrait tardif de Rembrandt. Au pavillon de France, un objet occupant son vaste atrium l’intrigue; semblable, croit-il, à une vaste toile d’araignée de câbles et de lumières, mais à lire le cartel il apprend qu’il s’agit d’un oeuvre de son et de lumière d’un artiste au nom grec inconnu de lui : Iannis Xenakis. Hélas!, ce jour-là l’oeuvre était en panne. Enfin, il s’arrête au pavillon du Canada. En entrant, l’impressionne vivement une œuvre en mouvement, elle aussi avec des effets de lumière et de sons. Cependant, il ne retient pas le nom de l’artiste. Ce bref séjour dans les Îles de l’Expo s’achevant, il s’efforce d’explorer le « monde » en parcourant de nombreux pavillons : États-Unis, Union soviétique, Grande-Bretagne, France, Allemagne, Iran, Tchécoslovaquie. À regret, le moment est venu pour le jeune homme de quitter l’Expo 67 et Montréal. Au retour chez lui, il retrouve l’ennui, la solitude et la grisaille habituels. Il reprend alors ses voyages imaginaires dans les livres et à la télévision. Pour cet adolescent qui deviendra non sans difficultés et tourments l’adulte que je suis, il s’agissait, sans qu’il en soit conscient, d’un voyage initiatique. 

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L’année en cours est bien pourvue de commémorations : 375 ans de la fondation de Montréal et 150 ans de la Confédération canadienne. Mais voici une autre, moins connue : les 50 ans d’Expo 67, qui demeure, sans conteste, la plus grande fête de l’histoire de Montréal, qui, d’ailleurs, ne risque pas de se reproduire. Mais avec le temps, le souvenir de cette année extatique chez les personnes de mon âge s’efface peu à peu. Sans qu’elle soit vraiment oubliée, elle meuble l’arrière-boutique de nos préoccupations.

L’initiative de la commémoration des 50 ans d’Expo 67 revient à quelques musées et à des institutions, parmi lesquels le Museé McCord, le Centre d’histoire de Montréal, le Centre de Design de l’UQAM, le Musée Stewart et le Musée d’art contemporain de Montréal (MACM), dont l’exposition, présentée jusqu’au 9 octobre, me retiendra pour la suite de ce texte. Coiffée d’un titre aux résonances proustiennes, À la recherche d’Expo 67 nous offre une exposition collective composée pour la plupart d’œuvres inédites, produites dans divers médias par une vingtaine artistes actifs à Montréal ou ailleurs au Canada. Tous nés après 1967. Les commissaires leur ont demandé de « s’inspirer » des archives imprimées et visuelles d’Expo 67 non pas pour s’adonner à la nostalgie, mais dans une « approche critique ». Le sens galvaudé de ce dernier mot en art contemporain m’a immédiatement mis sur mes gardes. En effet, dès mon premier contact avec ces œuvres, je savais que cette exposition allait me décevoir. Comme le signal d’une sonde lancée dans l’espace lointain qui nous transmet une image floue, cette exposition du MACM, par delà l’intérêt d’une œuvre particulière, donne une idée très peu précise de ce que représentait l’Expo 67. Je veux bien convenir que, devant son gigantisme, le choix des commissaires ne pouvait qu’être une mosaïque faite de fragments. Ce qui me désole le plus, c’est, qu’en aucun moment de mon parcours, n’ai-je reconnu cette poésie sensible des couleurs et des parfums qui se dégageaient de cette grande fête, à laquelle j’ai eu le privilège,pendant quelques jours, d’assister. Plutôt un froid interstellaire! 

Cela dit, quelques productions méritent la mention : de Marie-Claire Blais, une vidéo sombre, presque moyenâgeuse dans l’allure des personnages; de Chris Salter, une reconstitution à échelle réduite de l’installation Polytopes de Xenakis, au pavillon de France. De quoi nous donner une idée du spectacle original; de Stéphane Gilet, oeuvre que j’ai loupée, mais dont un ami m’a dit le plus grand bien : un plan détaillé des pavillons en multimédia. 

Mon propos ne cherche aucunement d’accabler les artistes pour, en vérité, une exposition ratée. Chacun a répondu à l’appel à l’intérieur des limites de son talent et de sa posture esthétique. Par contre, je regrette que le Musée d’art contemporain de Montréal ait oublié le mot « musée » dans leur désignation officielle, depuis sa création en 1964. Or, la mission d’un musée en plus d’acquérir des œuvres et d’en assurer la conservation et la diffusion auprès du public, se doit de favoriser l’étude d’oeuvres d’art du passé, souvent injustement négligées. Mais voilà que le MACM, propriétaire d’une riche collection, n’a pas cru bon de nous montrer des œuvres présentées à Expo 67, crées par d’artistes d’ici ou d’ailleurs. 

Un exemple : cette œuvre qui m’avait tant impressionné, au pavillon du Canada. En écrivant ce texte, j’ai enfin eu la curiosité de rechercher l’identité de son auteur, un certain Richard Lacroix, né en 1939. Un ami, qui l’apprécie, dit posséder l’une de ses gravures. Voilà ce que le MACM aurait pu ou dû programmer : un retour sur un artiste comme celui-ci. Tirer de l’oubli, qui guette tant d’artistes et de créateurs me semble un devoir pour un musée, celui de montrer à un public plus jeune des œuvres du passé, et les soumettre à une évaluation à la lumière des critères actuels.

Quant à l’oeuvre de Richard Lacroix, intitulée Fusion des arts, voici ce qu’en écrivait dans la revue Vie des arts, à l’automne de 1967, le futur professeur de l’histoire de l’art à l’UQAM, Yves Robillard : Il s'agit là de trois disques en plexiglass coloré et transparent, trois disques qui ont chacun leur mouvement rotatif et sont éclairés par divers jeux lumineux créant à travers et autour d'eux une ambiance spéciale. Ces disques sont montés sur une armature de tiges d'acier qui semble très compliquée. Ils donnent l'impression qu'ils vont toujours se heurter, mais réussissent néanmoins à s'éviter de justesse. Ils ressemblent à ce qu'on imagine être des soucoupes volantes et tout le spectacle suggère d'ailleurs au visiteur une sorte de réseau de communications interplanétaires. Le spectateur est d'abord intrigué, s'approche, entend alors des sons qui sont à l'antithèse de cet appareil, vraisemblablement de haute technologie, des bruits de casseroles et de sifflets essoufflés. Il découvre que c'est l'armature d'acier qui, en tournant, frappe gauchement sur des petites plaques posées ici et là à dessein et pèse sur des sifflets égarés : l'effet de sérieux est anéanti. L'artiste a voulu signifier que malgré la technologie, malgré l'anonymat, ces fabrications devaient toujours être humaines et laisser place à l'éclat de rire.

Dommage que le MACM n’ait pas eu la présence d’esprit de saisir l’opportunité offerte par la commémoration du cinquantième d’Expo 67 pour nous offrir une exposition marquante. 

08 avril 2017

Donné à voir, offert à penser





La Nature est un temple où de vivants piliers
Laissent parfois sortir de confuses paroles
Charles Baudelaire
 ( in Correspondances, Les Fleurs du Mal )


Du haut de son inutilité souveraine, l'Art se montre peu apte à devenir un outil de connaissance. À preuve, les ambiguïtés que comporte le mot Art, telles ses supposées propriétés « métaphysiques ». Rien de tel dans mon propos. Le sens de ce vocable monosyllabique se limitera ici à sa fonction courante : celle d'englober sous un seul chapiteau commode les productions hétéroclites et constamment renouvelées de ceux désignés comme artistes, dont les œuvres se rattachent, parfois de manière ténue, à des disciplines constituées il y a de cela des siècles, telles la peinture et la sculpture, ou plus récemment la photographie et la vidéographie, ou encore, tout dernièrement, les arts médiatiques.

À quelques exceptions près, l’art contribue peu à l’établissement d’un savoir nouveau. Certes, les oeuvres d’art du passé, par leur condition de document sur leur époque et sur les us et coutumes des hommes d’alors, restent, au même titre que des fonds d’archives, une source de renseignements précieux pour les sciences humaines et, évidemment, pour l’histoire.  Comme l’on été au cours des siècles les recherches des artistes sur les matériaux à employer et sur les divers modes de représenter le monde et les hommes. Les connaissances ainsi acquises se sont intégrées au savoir du moment, et donc du nôtre. Cette tradition se poursuit en art actuel autour de recherches sur les technologies de pointe (les techniques immersives, la réalité virtuelle, l’intelligence artificielle, par le visible, mais aussi l'audible) dont se servent les artistes, seuls ou en collectifs, dans leurs productions et celles-ci contribuent à plein titre à notre savoir, même si pour l’ignare que suis en ces matières, il n’est pas facile de prévoir à quoi elles aboutiraient. Quoiqu’il en soit, d’époque en époque, ce savoir devient un savoir-faire en rapport aux techniques de représentation et aux matériaux employés.

En art dit contemporain ou actuel, selon les vocabulaires, pour me limiter aux seules pratiques artistiques de notre époque, s’opère souvent un repérage dans un passé proche ou lointain, ou encore dans le moment présent, à la recherche d'êtres, de lieux, d’objets, de récits, de coutumes, de sens. Ce que les artistes, pas tous certes, manifestent dans leurs oeuvres ne se rapporte pas tant à des connaissances par eux acquises, mais à la réactualisation de ce que le spectateur est appelé à reconnaître, de ce qui est déjà connu, méconnu, oublié, refoulé.

Ainsi, dans la photographie ci-dessus, de mon ami Michel Gagnon, que puis-je reconnaître de ce qu’il a su repérer au détour d'une ruelle du Plateau Mont-Royal, en un après-midi de décembre? Cette photo ne ressemble en rien à ces images manipulées qui ont cours, mais est le fruit plutôt de ce qu'Henri Cartier-Bresson nommait un « instant décisif ». On y voit une scène banale pour tout citadin nordique, le lendemain d’une tempête, cette violence hivernale récurrente et souvent meurtrière trop bien connue. Dans la captation de cet instant de vie, une femme munie d'une toute petite pelle entreprend le déblaiement de sa voiture enfouie afin de reprendre sa condition d’être civilisé, que symbolise l’automobile. Debout, elle se tient au repos pendant un instant afin d’évaluer sans doute la tâche qui l’attend. Son manteau noir détonne singulièrement avec la blancheur ambiante, comme si un corbeau géant se serait posé sur ce tapis de neige. Notre regard se déverse au fond de la ruelle, comme dans un entonnoir, vers l’arbre solennel du parc, que l’hiver met en sommeil. L’image de mon ami revêt alors une teinte funèbre qu’accentuent les rayons tamisés d’un soleil prêt à disparaître. Cette scène retrouve dans mon imagination une valeur symbolique qui transcende sa banalité : le théâtre d'un combat à arme inégal de tout être humain soumis à l’hostilité de forces largement supérieures, comme celles déchaînées de la Nature.

Symbole? Symbolique? Voilà des mots qu’il convient, je le reconnais, d’employer  avec précaution. Je parie que cette photo d’une scène hivernale restera incomprise d'un enfant né sous les tropiques, un objet de curiosité tout au plus. Pour eux, la saison des pires menaces reste l’été avec ses pluies torrentielles, ses inondations, ses glissements de terrain, ses tornades et ses ouragans. Je repense aussi à ce que me racontait l’autre jour un ami né dans les Antilles. Aux premières heures de son premier hiver à New York, émerveillé devant la scène enneigée de Central Park, il s'arrête et s'agenouille devant une flaque pour y vérifier avec le doigt si cette eau gelée possède la même consistance que les glaçons des cocktails servis sous les palmiers de son île natale. Cette anecdote fera sourire les gens du Nord habitués aux rigueurs du climat. En la rapportant ici, j’entends souligner que « l'universel », tant claironné, n'existe guère en lui-même, mais renvoie toujours à une culture commune, forcément distincte, en partie du moins, de celles qui se trouvent sous d’autres latitudes. 

Je suis né en plein été dans le 46e parallèle nord, où j’ai vécu toute ma jeunesse avant de m’établir, en 1968, à Montréal (qui se trouve dans le 45e). La  photo de Michel me rappelle les interminables hivers de mon enfance; de cet enfermement les jours de froid intense; de l'ennui sans fin, faute de jeux et de compagnons; de ces douloureuses gelures après vingt minutes de marche rapide, par moins 20 degrés Celsius, pour me rendre à l'école. À Montréal, je garde en mémoire mes expéditions dans les rues du centre-ville au lendemain d’une tempête monstrueuse, en mars 1972. Au même moment, une grève des cols bleus venait aggraver les conditions déjà pénibles qui rendaient la plupart des rues inaccessibles, sauf par motoneige, en raquette ou sur des skis. De tels souvenirs, comme tant d’autres, témoignent d’une détestation de l’hiver bien enracinée chez moi, au point de prendre dans ma conscience la forme d'une fatalité, celle d’une détermination géographique de mon être. Avec le retour du froid, je m’efforce, sans trop d’enthousiasme, de sortir de la passivité d’une vie casanière pour pallier le manque d'énergie et la carence d'ensoleillement. Ce combat contre la neige, la glace et le froid me laisse aussi fourbu et solitaire que cette bonne femme de la photo. Parmi mes amis, certains cherchent à apprivoiser l’hiver par des activités extérieures et la pratique de sports de saison. De mon côté, je m’y résigne en songeant à ces personnes qui estiment sentir en elles une féminité prisonnière d’un corps masculin, ou l'inverse. En raison de ma naissance estivale, n’aurais-je pas une âme tropicale durement corsetée par un corps nordique?

Comme je m’égare dans des considérations personnelles, je reviens donc à mon postulat de départ :  « Inutile, l'art », disais-je. À force de souvent feuilleter des revues et de visiter régulièrement galeries et musées, il m'est aisé d'entrevoir la quantité stratosphérique d'objets physiques et de projets « immatériels», tels les photos et les vidéos, que le monde de l'art diffuse chaque année, tous genres et pays confondus. Mais parmi ces productions hétéroclites et constamment renouvelées, combien d'œuvres échappent à toute récupération politique (pour un parti, un chef, une cause, une identité, une idéologie, une gloire nationale ou pour exalter une vertu civique)? Combien d’artistes réussissent à se maintenir à bonne distance des commerçants de l’art le moins scrupuleux, mais si prompts à transformer leurs oeuvres en marchandises et en cotes? Combien d’artistes ne succombent pas à la mode du jour, aux préoccupations du moment ou à la tentation de convertir leurs oeuvres en objets de décoration, en artisanat sophistiqué ou en design huppé, les destinant de la sorte à meubler de leur insignifiance bureaux et logements? Combien d’oeuvres, à la fin, resteront mémorables pour leur signification culturelle ou sociale? À vrai dire, l’accumulation débordante actuelle trahit un destin moins splendide pour l'art contemporain que pourraient le présager les apports techniques, les trouvailles stylistiques et les innovations formelles d’aujourd’hui. Cependant, malgré cette production pléthorique, le côté « magique » de l’art réussit à convertir son inutilité en aliment essentiel de notre vie. Au-delà des techniques et des matériaux employés, ou de questions formelles, le spectateur avisé recherche de nouvelles oeuvres qui le touchent autant dans ses émotions qu’aux niveaux sensoriel et intellectuel ; des oeuvres qui lui fournissent de l'oxygène et qui rehaussent son existence. Pour espérer être essentielle, une proposition artistique doit devenir pertinente et s’auréoler d'une zone aimantée, aussi indéfinissable que vivement ressentie par le spectateur. Séduit ou simplement charmé, le spectateur restera toujours maître de ce qu'il voudrait ou désirerait en retirer.

Une telle zone aimantée, j'ai l'ai ressentie dès le premier coup d’oeil porté sur l’oeuvre de Michel. Comme l’atteste la photo qui est l’objet de ce texte, le sens artistique de mon ami, venu tardivement à la photographie, s’affermit de jour en jour. Pour son plaisir, Michel l’a prise lors d'un moment aussi imprévu que béni. Ensuite, il me l’a donnée à voir et me l'a offerte comme matière à penser. N’est-ce pas là la raison d’être de l’art?




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