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15 décembre 2018

Archive : La sagesse du nihilisme (texte de 1987)


Je suis maintenant googlisé! Heureux moment à voir surgir des fonds insondables de l’océan Google mon texte paru en 1987 dans Copie Zéro, l’annuaire des films québécois sortis en 1986, publié par la Cinémathèque québécoise.

Ce matin-là, en lisant l’étrange essai de l’écrivain français Pierre Klossowski, Nietzsche et le cercle vicieux, paru en 1978, j’y étais allé à la pêche en vue de connaître l’emploi actuel du concept de nihilisme tel que Nietzsche l’entendait. Alors, je suis tombé sur mon La sagesse du nihilisme : Une interprétation du DÉCLIN DE L’EMPIRE AMÉRICAIN. Étudiant occasionnel, je l’ai écrit en octobre 1986 dans le cadre d’un débat que j’organisais à l’Université du Québec à Montréal autour du film de Denys Arcand, sans conteste l’événement culturel de l’année. Hélas! le débat n’a pas eu lieu pour cause de grève étudiante. Par contre, ce fâcheux contretemps m’a valu un agréable repas en compagnie du cinéaste et de mon professeur de philosophie. 

Que vaut ce texte aujourd’hui? Une autocritique ou un désaveu me semblent inutiles. En le lisant de nouveau, davantage comme un pianiste qui s’exécute devant une partition, la musique des mots me revient. Par le souvenir, se fait ressentir mon désarroi de l’époque, pourtant nettement moins menaçante que l’actuelle. Dans ma vie, les années 1984-1988 peuvent se nommer « ma période nietzschéenne ». Nietzsche agissait en moi comme une espèce d’antidote contre l’influence jusque-là prépondérante du marxisme. 

Sauf pour quelques corrections mineures, je le reprends ci-dessous tel que publié. Il me sert d’une photographie, ou d’une imagerie par résonance magnétique, si l’on veut, de ma pensée prise à un moment donné. À l’évidence, une partie de notre corps s’immobilise dans une mystérieuse matière temporelle, prompte à nous asséner des coups à un moment inopportun. Et telle une photo vieille de trente ans, mon sentiment d’étrangeté se dégage moins de ce que j’étais que de ce que je suis devenu.

Certes, je n’écrirais plus comme ça aujourd’hui. Je chercherais un style plus fluide et moins alambiqué, mais surtout une approche différente, en évitant la facilité du placage d’une théorie, doctrine ou philosophie sur une production artistique ou littéraire.

Trente ans plus tard, la vie m’instruit chaque jour sur la complexité des aspirations et des comportements des êtres, et des méandres des liens qui nous unissent ou nous divisent. De sorte, que j’en suis venu à me méfier de tous ces mots en « isme », tels nihilisme, individualisme, fascisme,  socialisme, populisme, impérialisme, libéralisme, nationalisme, cosmopolitisme…

Avant de passer au texte de 1987, je terminerai avec une citation de Nietzsche tirée de l’essai de Klossowski : 

« Le « philosophe » est-il encore possible aujourd’hui? L’ampleur de ce qui est su est-elle trop vaste? N’est-il plus invraisemblable qu’il ne puisse parvenir à, tout embrasser de son regard, d’autant [moins] qu’il sera plus scru­puleux? Sinon trop tard lorsque le meilleur de son temps sera révolu? A tout le moins abîmé, dégradé, dégénéré, en sorte que son jugement de valeur ne signifiera plus rien? Dans le cas contraire, il deviendra un dilettante pourvu de mille antennes, et ayant perdu le grand pathos, le respect de soi-même — la bonne, subtile, conscience. Suffit, — ni il ne dirige ni il ne commande plus. » 




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La sagesse du nihilisme : 
Une interprétation du DÉCLIN DE L’EMPIRE AMÉRICAIN


La civilisation euro-américaine amorce-t-elle un lent, mais inexorable déclin? C’est une thèse que semble soute­nir Denys Arcand dans son film LE DÉCLIN DE L’EMPIRE AMÉRICAIN.

S’interroger sur les indices qui nous permettent d’affirmer cette thèse, comme le fait le réalisateur, est une voie hasar­deuse, comme l’est également l’interpré­tation des conséquences de ce présumé déclin. Pour ceux qui se reconnaissent sous le vocable politique de «gauche», il serait le prélude à une ère de justice pour un tiers-monde exploité par l’impérialisme; pour ceux qui se reconnaissent sous le vocable politique de «droite», ce même déclin offre le spectre du suicide de l’homme blanc, tenu redevable jusqu’ici des progrès accomplis par l’humanité. Pour ceux qui ne se reconnaissent pas dans ce vocabulaire, le débat ainsi posé n’aurait que peu d’intérêt.
À mon avis, une préoccupation plus pressante surgit du débat : quel est notre rapport subjectif à cette civilisation, dont le déclin est ainsi annoncé? Hormis les éternels optimistes, qui pourrait nier que, pour une bonne part, notre subjectivité actuelle est fortement imprégnée d’un sen­timent de décadence et d’un pessimisme généralisé sur l’état actuel et futur du monde. Dans le but de comprendre cette subjectivité et d’en évaluer les conséquen­ces sur la vie et la pensée, j’utiliserai des exemples tirés du film d’Arcand, qui cons­tituent, en quelque sorte, un remarquable condensé de cette subjectivité.

Les personnages du DÉCLIN DE L’EMPIRE AMÉRICAIN, tout individua­listes qu’ils soient, témoignent à bien des égards d’un long processus, que nous nom­mons «histoire», symbolisé dans le film par le long travelling du générique. L’aboutis­sement de l’histoire serait-il ce type d’humanité indépassable que nos person­nages représentent? Sont-ils ces «derniers hommes» dont parla Nietzsche, il y a un siècle, pour décrire une humanité devenue méprisable par sa mesquinerie et son épui­sement, dépourvue de tout espoir de dépas­ser son état actuel. Cette humanité qui ne sait pas trop ce que signifie la création, le désir et l’amour, alors qu’elle se targue d’avoir inventé le bonheur.

Sommes-nous ces «derniers hommes»? Chose certaine, la lecture de cette prophé­tie du Zarathoustra me donne plus de fris­sons qu’un film de science-fiction! Cette sensibilité pessimiste, ce senti­ment de vivre la décadence, Nietzsche les nomme nihilisme. Le nihilisme signifie pour lui «que les valeurs supérieures se dévaluent» qu’il «manque la réponse à la question du pourquoi?» Le nihilisme naî­tra justement de la perte de croyance dans ces valeurs désormais dévaluées. Ainsi, un sentiment d’avoir été longtemps dupé et un souci d’éviter de l’être à nouveau apparaissent-ils comme les caractéristiques du nihilisme. Le scepticisme radical qui en résulte face à toute interprétation du monde aurait comme conséquence, d’une part, de susciter un désir de percer le men­songe et l’illusion, tout en entraînant, d’autre part, une paralysie de l’activité devant la question nihiliste par excellence «à quoi bon»? 1

À l’aide du concept du nihilisme, j’amorcerai ici une réflexion sur cette sub­jectivité contemporaine si troublante.

La fin des sacrifices?

Les cinq personnages du film, qui ont entre 35 et 45 ans sont bien représentatifs d’une génération qui a vécu les nombreu­ses mutations des années soixante. Les valeurs, avec un grand «V» qui structu­raient, voire tyrannisaient la vie des géné­rations précédentes, se sont dévaluées; c’est-à-dire qu’elles perdaient l’efficacité nécessaire pour former le destin des sujets selon ses préceptes. Puisque ces valeurs cessaient d’avoir une apparence absolue et intemporelle, les conditions sociales qui les ont vu naître pouvaient se lire en elles, ouvrant la voie du relativisme, preuve irré­futable de la décadence des valeurs.

Il n’est pas question ici de ces valeurs «transcendantes» de l’homme, venues de la morale et de la métaphysique chrétien­nes, dont la dévaluation remonte déjà à un bon moment — je suis d’accord pour sou­ligner à cet égard le retard du Québec. La culture occidentale a bien fini, du moins en apparence, par en digérer les effets. Je songe plutôt à ces représentations des qua­lités dites immanentes à l’homme dans son rapport immédiat au monde: c’est-à-dire la production et la procréation. Les valeurs «production» et «procréation» n’existant que dans la mesure où elles déforment les phénomènes plutôt aléatoires du travail et de la sexualité.

Nombreux furent ceux de la généra­tion des années soixante, pour qui les valeurs impératives de la «production» et de la «procréation» cessaient d’avoir la force d’une «loi du troupeau» pour parler comme Nietzsche. Une pareille loi avait peut-être sa raison d’être dans une société en pleine construction, où les sources matérielles de la puissance passèrent par l’agrandissement d’un territoire et l’aug­mentation d’une population. Mais nous avions l’impression dans les années soixante que notre monde — occidental ou capitaliste — avait atteint son apogée, et que l’essentiel était accompli. Que peuvent bien signifier alors ces valeurs impérati­ves et leur cortège de sacrifices imposés aux générations précédentes?

Le sacrifice de la consommation au profit de l’accumulation, et le sacrifice de l’élan naturel vers l’orgasme aux fins stric­tes de la procréation constituaient dans cette société, un carcan au destin person­nel de la très grande majorité, à l’excep­tion bien entendu de quelques êtres suffisamment sûrs d’eux-mêmes pour transgresser la «loi», et vivre selon leur désir, tout en y assumant les conséquen­ces de leurs gestes.

Le vécu nihiliste

La projection du vécu vers l’avenir, source de promesse, à partir d’un sens aigu du passé, source de légitimité marqua anté­rieurement la société. Avec l’instauration du rapport à l’expérience qui découle d’un vécu axé sur la consommation, devenu par la suite le modèle unique de notre rapport à l’expérience, cette projection est deve­nue problématique. La reconnaissance du moment présent, seul lieu physique du temps, enlève tout sens aux fictions néces­saires que sont le «passé» et «l’avenir». Ce temps réel, s’il est condition de l’action, est aussi vécu comme manque, donc source de la frustration.

Pour nos personnages qui ont vécu ces mutations, la perte de croyance dans les valeurs d’antan, la détresse devant la chute d’un monde ordonné sont compensées par une inflation de valeurs de substitution, par des expériences exotiques, par le goût de l’aventure, si caractéristiques des années soixante-dix. LE DÉCLIN DE L’EMPIRE AMÉRICAIN nous en offre par ailleurs tout un catalogue : du marxisme au retour à la terre, de l’échange de couples au sado­masochisme, de l’aventure risquée au souci de la santé, les allusions abondent. Le film offre aussi un spectacle de trop-plein : ali­mentation, sexe, confort matériel.

Pour Arcand, les gratifications immé­diates de cette recherche du «bonheur» sont devenues le «paramètre normatif du vécu». Or ses personnages sont blasés; ils sont devenus indifférents à force d’avoir tout essayé : des corps, des théories, des pays, des marchandises de tous genres. La société de consommation serait devenue en quelque sorte une société consomptive. Le vécu nihiliste est épuisant. Et le sentiment de décadence est culpabilisateur. On sent une mauvaise conscience de ses personna­ges, même si elle ne s’exprime pas dans des mots.

À moins de voir dans ce long dialo­gue sur les maladies transmises sexuelle­ment un relent de la notion de péché — les MTS étant conçues comme une punition. La lassitude de Claude transparaît bien dans cet aveu : «le sexe rend malade», ou encore le scrupule de Rémy qui «aime» toujours Louise après l’avoir «trompée».

Mais pour le nihiliste qui se sent pris entre sa détresse et sa mauvaise cons­cience, le renoncement apparaît comme un moyen pratique de survivre. C’est ce que fait Pierre, ce personnage nihiliste s’il n’en est un, lorsqu’il renonce à toute ambition de devenir un autre Braudel ou Toynbee. Dans un monde en décadence, quel peut- être le sens du sacrifice de soi qu’exige­rait un effort semblable? Et j’ajoute que cette forme d’imagination qu’est la réflexion, visant à changer le monde en pensée, ne fait plus le poids devant la domination de la pensée technique dont le succès se mesure à sa réalisation.

Pierre citera à sa décharge, une sta­tistique incroyable : les 17 000 articles scientifiques publiés chaque jour dans le monde. À quoi bon en écrire un de plus? La question nihiliste revient lorsqu’il s’agit de procréation. À quoi bon faire des enfants quand on n’a pas une «bonne opi­nion de soi-même» et qu’on ne s’aime pas? La certitude pour Pierre n’appartient plus à la raison, mais loge désormais dans le corps; pour paraphraser le «Grand Timo­nier», la vérité est au bout du pénis!

Si le moment présent offre au nihiliste des moyens de consoler sa détresse devant l’absence de valeurs qui ordonnent toute une vie, le futur devient un lieu imaginaire où le nihiliste projette (ou évacue) les menaces. Celles-ci — désastres écologi­ques, crise économique, sida, guerre nucléaire — donnent au film une ambiance de «fin du monde». Le contraste entre la certitude du présent et la menace du futur (alimentée en cela par le passé) est très bien démontré lorsque Pierre se fait masturber alors que sa copine lui fait le récit de la grande peur de l’an mil. Ce fut pour lui une expérience très sensuelle…

Sagesse du nihilisme

Au terme de cette analyse du DÉCLIN DE L’EMPIRE AMÉRICAIN une ques­tion retient l’attention : y a-t-il une issue, une porte de sortie de ce «processus géné­ral d’effritement de l’existence» comme le dit Dominique? Elle répondra aussitôt que non : «Notre fonctionnement mental nous interdit toute autre forme d’expérience». On me demandera dans ces circonstances pourquoi ne pas pousser jusqu’au bout la logique de la question nihiliste «à quoi bon?»

À quoi bon vivre alors? Chose curieuse, le suicide n’est jamais évoqué dans le film. Peut-être est-il exclu du cadre d’une réflexion nihiliste qui serait résignée à survivre précisément dans les limites à l’expérience qu’impose l’état actuel de la civilisation? Tout au plus cherchera-t-elle à se passer du mensonge qui, en plus d’être «le ciment de la société», comme le dit si bien Arcand est une condition sine qua non pour construire une œuvre alors même que nous n’ignorons pas qu’elle se fait sur du sable mouvant. Mais le nihiliste ne cons­truit plus…

Le nihilisme m’apparaît donc comme une sagesse toute pratique : une réflexion sur le «comment» sinon le «pourquoi» de survivre quand on se sent être le «dernier homme» sur la planète.


Marcel Pleau

Étudiant de philosophie à l’UQAM, Marcel Pleau a collaboré de 1978 à 1982 à la revue Le Berdache.
  1. Cf : Nietzsche, Le Nihilisme européen, éd. 10/18, p. 172 et s. 


14 septembre 2018

Sur l'identitarisme


Les questions relatives à l’identité ont, depuis longtemps, été engendrées par les diverses sociétés, dont elles manifestent les divisions, les fractures, les conflits, les clivages qui, selon les lieux et les époques, y surgissent immanquablement. Elles accompagnent les luttes politiques, de même qu’elles participent à la vie culturelle d’une société jusqu’à contaminer les arts et les lettres, un domaine par essence voué à l’expression subjective.  

Mais qu’est-ce que l’identité? Autour de ce thème, il convient de distinguer cette « quête d’identité » de la part d’un individu qui évalue les changements que le temps et les circonstances ont apportés à son existence, et que résume bien la question classique : « Qui suis-je? » Question dangereuse, car elle s’ouvre sur le néant d’une réponse possible : « Je ne suis personne! ».

Non, la question identitaire est d’un autre ordre : « J’appartiens à qui ou à quoi ? » L’individu est sommé d’inventorier ce par quoi il est assujetti. On peut regrouper de telles conditions d’assujettissement sous quatre grandes thématiques:

- l’ethnicité, la « race », la langue primordiale, les traditions, le lien à une terre, une patrie, une nation
- le sexe, le genre, la sexualité, 
- une classe sociale, un métier ou profession, les rapports d’accès à des ressources matérielles, les niveaux d’instruction et de culture
- les religions, les idéologies, les modes de pensée, styles de vie

En vérité, pour chaque individu s’enchevêtrent ces vecteurs d’un sentiment d’appartenir à quelque chose qui à la fois le façonne, mais le dépasse. Ces identités ne sont pas toutes d’égale force chez l’individu : certaines sont primordiales, d’autres contingentes. Devant les conditionnements et facteurs d’assujettissement, les réactions varient: nombreux sont ceux qui acquiescent, le plus souvent sans y réfléchir, à tout ce qui dès sa naissance les surplombe et qui ne cessera de les accompagner leur existence durant. Ce qui ne laisse qu’une faible marge à l’autodétermination devant sa condition socio-biologique, ou au regard de traditions religieuses ou culturelles. D’autres se rebiffent devant cet acquiescement, décrié comme trahison de soi-même. Avec leurs combinaisons innombrables chez l’individu, les identités ressemblent au cube de Rubik. 

Loin d’une métaphysique de la « vie », d’où la raison d’être d’un individu est d’assurer la transmission du génome comme d’assurer la pérennité des traditions, la vie ne se réalise que par le déploient à chaque instant de chaque spécimen de l’espèce, autrement dit, des individus. De fait, il n’y a que des individus. L’égarement et les pèlerinages par les sentiers d’une identité collective se ramènent toujours en fin de compte à la vieille question :
 « Qui suis-je? »



01 août 2018

Enlever ses œillères



 Tandis que nous assistons à la fin d’un monde
 et que peut-être, que sans doute, plus rien
 de ce qui nous passionnait hier ne paraîtra plus d’aucun
 intérêt à ceux qui viennent, à cette nouvelle société
 qui s’ébauche clandestinement, bien que sous nos yeux.
André Gide
Lettre à J.-E. Blanche, 12 juillet 1932



Le passage par les archives, poussiéreuses ou non, nous offre à l’occasion une perspective nouvelle sur l’actualité qui se déroule sous notre nez. En voici un exemple : l’autre soir, couché, entendant les premiers signes d’une promesse de sommeil, j’écoutais une émission en podcast que j’apprécie beaucoup. France Culture la nuit, qui repasse des épisodes d’émission du passé, allant parfois jusqu’à l’après-guerre des pénuries et de la reconstruction. L’invité d’une émission de 1975 était le réputé philosophe politique Raymond Aron. Pendant une demi-heure, l’entrevue tournait autour de la préoccupation d’alors : le totalitarisme vieillissant de l’Union soviétique et des espoirs d’Aron de voir les « dissidents » y favoriser un changement vers la liberté. Aron mettait aussi en garde les socialistes français contre l’alliance avec les communistes et les implorait de rester fidèles à l’ordre libéral européen garante de paix et prospérité. 

Qu’une telle sommité intellectuelle n’ait pu prévoir le futur, notre monde actuel, ne devrait pas nous surprendre. Qui, de nos jours, peut prétendre prédire la vie en 2060, soit la même distance en années qu’entre 1975 et 2018. Pourtant, on s’attend à ce que les spécialistes comme lui aient à l’esprit le déroulement prévisible du cours des évènements. Nous pouvons à tout le moins prévoir les soubresauts des changements climatiques.

Or, depuis cette interview, l’URSS n’existe plus, la Russie, dirigée par un ancien agent de la police secrète, et les autres nations de l’ancien empire soviétiques entretiennent avec la Russie le plus souvent des relations hostiles. 1975: rien sur le climat, ni sur l’Islam, ni sur la Chine, aucune mention des innovations technologiques, ni sur des changements de moeurs qui ont conduit, entre autres, au mariage légal entre personnes du même sexe.

Je veux souligner ceci: Aron et ceux de sa génération restaient prisonniers d’un horizon particulier, mais qui déjà commençait à disparaître sinon de la vue, du moins dans la réalité. Leur monde était celui des conflits titanesques entre les états fascistes et la coalition antifasciste, y compris le régime totalitaire de Staline. Et, après la défaite des régimes fascistes, la posture, pour ou contre, à manifester devant cette « tentation totalitaire », tel fut le titre d’un succès de libraire de l’époque, d’une bonne parie de la jeunesse du monde occidental. 

En clair, voici la leçon à retenir : s’il nous est difficile, sinon impossible, de prévoir le cours des évènements, toujours soumis à un déroulement hasardeux, nous pouvons, nous devons, par contre tâcher d’enlever ces œillères héritées de notre passé comme celles que moment présent nous procure, et qui nous empêchent de  regarder avec sévérité l’état invariablement mauvais de notre condition actuelle.


04 juillet 2018

Recul de la culture


Montréal, été 2018. En plein festival, sur une scène de théâtre, un spectacle. Dehors, dans la rue, une poignée de manifestants s’époumonent à lancer des slogans coup de tonnerre. Succès médiatique de l’anti-spectacle; gestion de crise pour le spectacle. Cet affrontement, relayé par les médias qui nous régissent, ne représentent qu’un symptôme de plus du recul de la culture. 

Ma soixante-dixième année amorcée, le moment semble propice pour jeter autour de moi un regard panoramique. Hélas!, le spectacle du Monde n’est guère encourageant. Certes, il y a eu au siècle dernier des époques plus sombres encore, voire terrifiantes. Mais au moins perdurait alors le partage admis entre la culture et l’anti-culture. Et dans l’univers de la culture prospérait malgré tout une culture commune, dont les oeuvres littéraires, philosophiques, musicales et plastiques, au-delà des polémiques qui se faisaient jour autour d’elles, donnaient forme et consistance à cette culture commune. 

Tout ce « patrimoine »  de nos jours est décrié, balayé, trituré, édulcoré, oublié. Paradoxe suprême : à l’heure de la diffusion universelle et de la communication instantanée, la culture, tant du côté des arts que de nos manières de vivre, est divisée, segmentée, fragmentée, sectionnée, cantonnée, dans un gigantesque chacun pour soi, d’où les passerelles se raréfient.

Les grands mouvements sociaux surgis au cours des années soixante et soixante-dix furent, je crois, le dernier grand moment d’une offensive sur la ligne du front séparant la culture et l’anti-culture, et cela au profit d’un élargissement de la culture commune pour y faire place aux arts et aux manières de vivre de territoires périphériques et de populations jusqu’alors marginalisées. Mais voilà déjà quelque temps que ces mouvements ont disparu. Le souvenir d’un magnifique halo crépusculaire de leur déclin a longtemps pu faire croire à leur survivance. Pourtant, on peut observer à l’oeil nu les traces laissées par leur passage et repérer comment ceux-ci ont modifié nos sociétés et nos cultures au cours des décennies suivantes et jusqu’à nos jours. Depuis longtemps convertis en mythes, ces grands mouvements sociaux disparus font toujours sentir leurs effets et avivent notre tristesse d’une perte et notre angoisse d’un monde naissant autrement plus dur et incertain.

25 avril 2018

Le prix de la démesure


« NAPOLÉON ART ET VIE DE 
COUR AU PALAIS IMPÉRIAL »
 Musée des beaux-arts de Montréal
présentée du 3 février au 10 mai 201





François-Pascal-Simon Gérard (1770–1837), Portrait de Napoléon en grand habillement, 1805, huile sur toile. Château de Fontainebleau, musée Napoléon Ier. Photo © RMN-Grand Palais / Art Resource, NY / Gérard Blot.



Dès son arrivée dans l’élégant pavillon du Musée des beaux-arts de Montréal, inauguré en 1912, le spectateur est prié de gravir, sur un long tapis rouge, les marches d’un escalier majestueux le conduisant à l’exposition. Le hasard m’a favorisé le jour de ma visite : pendant mon ascension, sans aucun autre visiteur, ni devant ni derrière pour me distraire de l’émotion, l’œil fixé sur l’imposant insigne  « N » sur un panneau en haut des marches, que je montais cérémonieusement comme pour accéder à un panthéon dédié à la gloire d’un « grand homme ». 

L’étage atteint, l’émotion « esthétique » ressentie fut troublée par un malaise « moral » : tout ce que j’ai pu connaître sur Bonaparte et son régime au cours de ma vie, ce que j’ai lu, entendu ou vu, comme les sombres gravures « Los Desastres de la guerra » de Goya, tout remontait à la surface de la conscience. Et le bilan s’avère franchement négatif. L’énergie me manque pour décrire plus en détail le régime despotique constitué par Bonaparte, qualifié par certains commentateurs de « protototalitaire » : une concentration du pouvoir poussée à l’extrême, l’élimination effective d’une vie politique comme contre-pouvoir bénéfique, l’emprise de la censure sur la presse et l’édition, le rétablissement de l’esclavage dans les colonies, la militarisation de la France, les guerres et conquêtes, les exactions multiples au cours des campagnes militaires, son alliance opportuniste avec l’Église, la trahison du legs progressiste de la Révolution, etc.

N’était-il pas néanmoins un « grand homme » ? Je me refuse d’employer cette expression fort désuète à nos oreilles, et qui exhale un parfum passablement éventé du dix-neuvième siècle. Notre époque ne conçoit plus que le regard porté sur autrui puisse atteindre l’individu dans l’intimité de son être, mais seulement l’effort de s’en faire une idée par l’examen rigoureux de ses faits et gestes. Par contre, qui oserait prétendre que Napoléon Bonaparte ne fût point un important personnage de l’Histoire, pas seulement française ou européenne, mais mondiale?

Aucune envie, par ailleurs, chez moi d’inventorier en détail les portraits et dessins, artefacts et objets religieux, vaisselles et ustensiles, mobilier et tentures, costumes et tissus, de tous ces objets qui donnent aux salles du musée les airs d’un palais, là où les happy few du régime jouissaient d’une belle et agréable vie.

Ma première impression de l’exposition restait donc assez décevante. Je n’y voyais qu’un tribut de plus payé à la légende de cet « Usurpateur », comme les tenants de l’Ancien Régime apostrophaient Bonaparte. Au-delà d’une superbe scénographie, marque de commerce du Musée des beaux-arts de Montréal, je croyais que rien de ce qui s’y trouve ne m’apporte des éléments d’une connaissance accrue de cette époque troublée.

Au moment où je m’apprêtais à quitter le musée, je m’obligeais par acquit de conscience à effectuer un autre tour de l’exposition.



Hyacinthe Rigaud (1659 – 1743) Modello pour le Portrait de Louis XIV en grand costume royal, 1701, huile sur toile 55,7 x 46 cm Achat, dons de W. Bruce C. Bailey en l’honneur de Hilliard T. Goldfarb, et de Dan et André Mayer, fonds de l'Association des bénévoles du Musée des beaux-arts de Montréal, fonds de la Campagne du Musée 1988-1993, et les legs Serge Desroches, Hermina Thau, David R. Morrice, Mary Eccles, Jean Agnes Reid Fleming, Geraldine C. Chisholm, Margaret A. Reid, F. Eleanore Morrice, Harold Lawson, Marjorie Caverhill, Harry W. Thorpe et Mona Prentice, inv. 2017.51




Et là, je vis ce qui m’avait auparavant échappé, un véritable coup de génie des commissaires : dans la première salle y dominait un grand portrait en pied de l’empereur. Immédiatement à sa droite, le modello (terme désignant une esquisse finale en format réduit d’un tableau commandé) du fort célèbre Portrait de Louis XIV en habit royal, peint par Hyacinthe Rigaud, en 1701, et qui se trouve au Musée du Louvre. Récemment acquis par le musée montréalais, ce modello est accroché sur le panneau différent, en retrait vers l’arrière du portrait de Napoléon. Ces quelques centimètres de profondeur, en soi tout un abîme, ont une portée symbolique immense qui dépasse de loin la distance d’un siècle qui sépare leur création respective. D’un tableau à l’autre, mes yeux scrutaient la moindre trace d’une différence. Dans le portrait de Louis XIV, peint moins de quinze ans avant son trépas à l’âge de 72 ans, le visage vieilli et sûrement peu en santé du roi me semble n’exprimer qu’un air souffreteux mêlé à un souverain mépris. Au-delà des traits de sa personne, ce qui ressort le plus de ce tableau est la fonction presque millénaire de roi de France.

Par contre, dans le portrait nettement plus grand de Napoléon, peint peu de temps après s’être couronné « empereur » le 2 décembre 1804, le visage me semble impénétrable. Tout au plus se manifeste une preuve de jeunesse et de force. Son visage semble étranger au reste du tableau, au costume de sacre et au mobilier. Rien d’étonnant en cela, puisque Napoléon, ayant mieux à faire, ne posait jamais et laissait à ses artistes le soin de peindre son visage de mémoire. Cette imprécision sur le faciès, si on le compare avec celui du roi, accentue mon impression d’un être dépourvu d’une ascendance marquante, d’un homme qui, seul, s’est hissé au pouvoir.

Mais la véritable révélation, je la trouvai dans les portraits mêmes : dans celui du roi, l’incommode costume d’apparat, le tissu intérieur est blanc, celui du dehors bleu, sur lequel sont cousu des fleurs de lys. Dans le portrait de l’empereur, le dehors est en rouge avec des abeilles. Toute une part de la propagande du régime impérial m’était ainsi révélée. Chaque élément de ces portraits de l’empereur comportait une dimension symbolique et répondait à des impératifs politiques, celui d’asseoir son pouvoir despotique en manque de légitimité. À commencer par la couleur rouge pour se démarquer du bleu royal; et de l’abeille en opposition au lys, de l’abeille productive, symbole de l’ascension de la bourgeoisie, contre le lys ancestral, symbole depuis toujours de la royauté. Maintenant, je m’explique la surabondance du tapis rouge dans le simulacre de salle du trône surtout, presque au point de nous aveugler…

Tout — portrait, meuble, vaisselle, vêtement — devient hymne à la gloire de Napoléon. J’ignore si le narcissisme de l’empereur explique son insistance à célébrer en tout lieu sa personne. Mais ce qui m’apparaît évident, c’est qu’il se servait de toute chose, comme de toute personne, pour élargir son pouvoir. À preuve, le mécréant Bonaparte signant avec le pape un concordat qui restitue les privilèges de l’Église de France en échange de l’appui de celle-ci à son régime. Ou encore, désireux de se donner un héritier, Bonaparte répudia Joséphine, son épouse restée infertile, pour marier une princesse autrichienne et future mère de son fils, l’infortuné « Aiglon ». Une alliance tant politique que personnelle.

Asseoir son pouvoir despotique à tout prix! L’exposition au Musée des beaux-arts de Montréal souligne la contribution des artistes et artisans à la propagande du régime. Sont partout reproduits, dans les objets exposés, les effigies de l'empereur, ses symboles, ses armoiries, ses insignes. Ces derniers ont si bien servi leur monarque, que je crois entendre le discours silencieux des objets de la tablée impériale :  « Écoutez, vous qui venez chez moi, buvez de mon gobelet, mangez de ma fourchette, car Je suis le Maître de la France, le Conquérant de l’Europe. »

En contrepoint avec les autres salles, consacrées à l’art et à la vie de cour au palais impérial au sommet de la gloire de Napoléon, la fin du parcours de l’exposition abouti à une salle aux airs de chambre mortuaire, dédiée à sa chute et à son exil définitif vers une île perdue de l’Atlantique.

Denzil O. Ibbetson (1785-1857), Napoléon sur son lit de mort, 1821, huile sur toile. Genève, Collection Comte et Comtesse Charles-André Colonna Walewski, en prêt à long terme au Musée des beaux-arts de Montréal. Photo Thierry Genand.

Cet étonnant portrait de l’empereur sur son lit mort est placé seul au mur donnant sur la sortie. La lumière tamisée de la salle, où le visiteur entend en boucle le triste Adagio de la Sonate pour piano # 31, de Beethoven, que Bonaparte a grandement déçu, permet la projection tout autour de ce tableau des vagues de l’océan, à la fois renvoi à son lieu d’exil et métaphore de l’infini. 

Je suis donc sorti par là où je suis entré, en descendant, non sans vertige, l’escalier majestueux au tapis rouge. Ce tapis rouge qui maintenant prend la valeur d’un fleuve de sang dont Napoléon fut coupable. Et je me suis demandé ce qu’il faut retenir de ce personnage qui entre dans l’histoire, le 9 novembre 1799, au lendemain d’un coup d’État au sein du pouvoir révolutionnaire, au poste de « Premier consul ». Un titre qui s’inspire de la Rome antique, comme celui plus tard d’ « Empereur des Français ». Hélas, Napoléon n’a pas cru bon de devenir un Auguste, ce premier empereur romain pour qui les objectifs primordiaux demeuraient la consolidation de l’Empire et sa pérennité. Non, Bonaparte, avec ses campagnes militaires et ses conquêtes, rêvait plutôt de rivaliser avec Jules César. Pour le malheur des Français et de l’Europe tout entière!




27 mars 2018

Retour et détour des mots


Le 21 février dernier, j’assistais à une discussion informelle autour du thème « L’art et la politique », au centre de documentation en art contemporain, Artexte, situé en plein Quartier des spectacles de Montréal. J'avoue avoir hésité à m’y rendre, car je craignais que l’aîné que je suis ne se trouve peu à sa place au sein d’une assistance majoritairement composée de milléniaux. La discussion s’est déroulée de façon spontanée, c’est-à-dire sans que l’on approfondisse la question des rapports entre l’art et la politique. Il faut bien l’avouer, ce genre de rencontre où chacun y va de son opinion s’avère rarement propice à un vrai débat, où, dans le but de faire avancer la réflexion d’un auditoire, les tenants de positions opposées, fruits d’étude et de raisonnement, s’affrontent dans le choc des arguments. Hélas!, sauf ci et là dans quelques îlots de pensée, notre culture paresseuse et encline au consensus impose partout, ces « conversations », selon le sens que ce mot prend maintenant dans la langue anglaise.

Mon intervention au cours de la soirée ne visait qu’à conseiller la prudence sur cette question, car pour se maintenir comme véhicule d’expression de notre subjectivité, l’Art doit se garder d’embrasser de trop près la politique. Ces remarques m’ont valu d’être gentiment traité de « privilégié » de la part d’une jeune femme. Cette épithète est moins vexante, j’en conviens, que celle de « bourgeois », une insulte facile qui tenait lieu de repoussoir pour les avant-gardes dites historiques. Je n’ai pas eu le temps de lui répliquer qu’à l’aune de la misère qui sévit sur la planète, nous étions tous des « privilégiés » dans cette salle, qu’une autre femme me rappelait que les « victimes d’oppression » n’ont guère le loisir de jouir de l’Art… Cependant, l’objection, qui m’a mis sur la défensive, a été proférée de manière lapidaire par un jeune homme avec cette phrase terrible : « Tout est politique! ».

Étrange destin de ces mots d’ordre d’une autre époque qui reviennent nous hanter malgré un contexte politique ou culturel différent. J’ignore quel peut être le sens précis du mot « politique » pour mon contradicteur, mais je doute qu’il la conçoive comme moi il y a 35 ou 40 ans. Probablement dans un sens plus identitaire comme c’est aujourd’hui la mode.

Moi, dans ce passé déjà lointain, je n’aurais pas hésité à lancer un tonitruant : « Tout est politique! » au cours d’une réunion. Sous l’emprise du marxisme à l’époque, ma posture intellectuelle semblait se justifier par mes engagements, simultanément la cause nationale et la lutte des classes, et ensuite, ce qui siphonnera longtemps mes énergies, la libération gaie. À tout moment, l’idéologie marxiste venait me rappeler mon devoir politique de subordonner ma personne insignifiante à l’une ou l’autre de ces glorieuses entreprises collectives… Plusieurs décennies m’ont été nécessaires pour m’affranchir de cette morale marxiste. D’abord, avec l’aide d’un puissant purgatif nommé Nietzsche ; après quoi, le « souci de soi » venait à ma rescousse.

En passant, il convient d’être méfiant de ces mots d’apparence si simples, tels ART, POLITIQUE, comme tant d’autres de notre vocabulaire usuel. Pour reprendre un terme tiré de l’informatique, ils nous servent d’agrégateurs de phénomènes, ou, plus précisément, d’agrégateurs de représentations de phénomènes.  Les phénomènes sont, comme nos représentations de ceux-ci, en constante mutation.

D’ailleurs, ce « Tout est politique! », n’est même pas une affirmation marxiste; croyez-moi, j’ai assez pataugé dans ce marécage théorique pour le savoir. Non pour le marxisme, ce sont les « rapports de production » qui déterminent le reste des activités sociales et le système politique. Le principal problème réside dans ce « TOUT » qui se voit régir par son prédicat « POLITIQUE ». Quel est son domaine? Sûrement pas la physique ou la biologie. Moins encore, nos conduites sociales, nos émotions, nos sentiments, nos désirs, nos activités sexuelles, nos amitiés. Où s’arrête le tout du politique? Quelles sont les exceptions à sa règle? Nous entrevoyons déjà les brèches de ce « TOUT ». Clairement, l’Art, qui englobe les arts plastiques, les arts de l’image, la littérature et les autres pratiques textuelles, la musique, se loge dans de telles brèches, ce qui lui permet d’échapper à une emprise trop marquée du politique, comme de tout pouvoir fût-il économique.

D’Ailleurs, s’il est un milieu qui devrait rester circonspect devant toute velléité de récupération provenant d’un État, d’une bureaucratie, d’une organisation sociale, d’une entreprise privée, d’un mouvement « identitaire » ou d’une minorité ethnique, c’est bien celui des arts, toutes disciplines confondues. Les arts dans l’histoire ont suffisamment souffert de leur subordination, de gré ou de force, à un pouvoir, à une idéologie ou à une « bonne cause » pour ne pas se montrer méfiants d’instinct.