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16 avril 2019

Laïcité : les autres enjeux


 Dans le texte suivant, je souhaite réfléchir au contexte créé après le dépôt à l’Assemblée nationale du projet de loi 21 intitulé : Loi sur la laïcité de l’État.

Le contexte macro-politique

(1) Les forces de l’avenir, celles qui transforment véritablement en ce moment le monde, pour le bien ou le mal, sont les dynamiques économiques et technologiques, techno-scientifiques aussi, qui ont pour nom la mondialisation. Sous les effets de la crise de 2008, les forces conjuguées de la mondialisation sont devenues, en partie, discordantes. 

(2) Les forces du passé, celles qui émergent en réaction à l’emprise de la mondialisation, de manière légitime ou non, sont les différentes variantes de repli ou du retour vers les scènes plus anciennes du pouvoir, telle la nation, mais aussi vers un groupe ethnique dominant d’une entité insérée dans une mega-structure institutionnelle, comme c’est le cas du Canada ; on peut être amené aussi à privilégier le  cadre de vie local, par exemple d’une ville ou d’un quartier. De telles forces réactives, voire réactionnaires, dans des cas extrêmes, représentent chacune à leur manière une forme de revanche de la politique sur l’économique. Ou, présenté autrement :  l’antagonisme entre le Pouvoir effectif  de l’avenir et le Pouvoir affectif  du passé.

(3) Le Québec et sa métropole vivent, comme c’est le cas ailleurs, les grands antagonismes de l’époque, mais selon ses particularités. Aussi, il faut tenir compte du contexte Canada-Québec, et de son contentieux historique. Mais cela est suffisamment connu du lecteur pour qu’il me soit nécessaire de le développer ici. 

(4) Parmi les forces du passé, une attention spéciale est requise devant les divers phénomènes du religieux, qui depuis leurs racines antiques ne cessent de renaître dans de nouvelles incarnations. Les religions ne sont que très partiellement des expériences spirituelles ou quelque chose du genre. Elles s’érigent, plutôt, en un pouvoir d’assujettissement sur des populations. Pour l’essentiel à notre époque, elles constituent un pouvoir culturel. Il n’est pas rare qu’elles soient en conflit entre elles, souvent accompagné d’actes violents. La religion comme vecteur d’identité est presque naturellement portée au prosélytisme d’une part, et de l’exclusion des dissidents, les hérétiques, de l’autre. 

(5) Un autre contexte est celui de l’immigration, sous toutes ses formes. L’immigration légale, dont les sujets sont triés sur le volet selon les critères de la société d’accueil, n’est plus en réalité celle d’individus sans attaches familiales, plus faciles donc à intégrer à l’ethnie dominante sur le territoire du Québec, les « Canadiens français ». De nos jours, cependant, le phénomène migratoire relève d’une immigration de masse constituée de familles élargies. Ce phénomène conduit inévitablement au communautarisme. Je préfère le terme « communautarisme » à celui de « multiculturalisme » qui escamote cette caractéristique de repli vers un groupe séparé du reste de la société.  La religion relie de l’intérieur les sujets d’une communauté tout en en les maintenant à distance de la société. Les diverses instances du Pouvoir ne cessent pas pour autant de les courtiser à des fins électorales.


Ma perspective 

Un événement révélateur pour moi a été l’affaire SLAV, de juin 2018, qui m’a fait prendre conscience de la fin d’une utopie qui avait cours jusqu’à ce moment au Québec, celle d’une culture commune organisée autour du français et de l’intégration des immigrants à l’héritage du groupe ethnique dominant sur son territoire. Entendu, que ce dernier sortirait lui-même transformé, peu ou prou, par le phénomène migratoire. Un héritage qui renvoie au récit fondateur des Québécois de souche; non celui assez ringard de la Nouvelle France et la Conquête, mais plutôt au nouveau mythe fondateur de la Révolution tranquille et de notre avènement à la modernité. Hélas!, à une époque où se mesure aisément la perte de prestige de l’histoire au profit d’une « mémoire » brouillée ou, encore, à des micro mythes du moment que ne cesse de produire la machine médiatique, un tel mythe fondateur ne résonne plus dans la conscience de ceux qui, parmi les jeunes générations, sont motivés par une religion militante, par une identité de groupe particulière ou par une aspiration personnelle. Partout, sous l’effet centrifuge conjugué de la mondialisation et du communautarisme,  tout « national narrative » prend de moins en moins preneur, à moins que ce soit pour démolir les avancées de la modernité en matière de libertés. 

Le dépôt du projet de loi 21, le 28 mars dernier, a représenté un tremblement de terre sur la faille territoriale majeure du Québec moderne : Montréal. Les anglophones de souche et une bonne partie des citoyens issus de l’immigration, qui s’assimilent à la langue anglaise et sa culture, caressent le rêve fou de reconquérir leur « Montreal, Canada », une ville fort distincte de la Métropole québécoise. Ainsi segmenté au fil du temps en de multiples communautés, dont les francophones de souche ne constitueraient qu’une parmi d’autres, Montréal pourrait perdre son accent et devenir officiellement bilingue et biculturel.

Il reste à voir si Mme Plante et son parti, Projet Montréal, envisagent de désobéir à la loi 21 après sa promulgation. En tout état de cause, l’actuel gouvernement du Québec n’aurait d’autre choix que d’imposer coûte que coûte son autorité sur la Métropole. À défaut de quoi, il y aurait reconnaissance de fait d’un droit de veto de la Métropole sur les lois du Québec. Nos lois qui déjà tombent sous le carcan d’un fédéralisme tutélaire pratiqué par Ottawa.

Cette autorité devra également prévaloir, car, si le PL21 ne s’impose pas, je vois mal comment  pourrait se réaliser un scénario souverainiste, qui formerait un programme nettement plus complexe. Certes, il faudra bien d’abord reconstruire une option souverainiste crédible. Il est désormais évident, à lumière de sa prise de position sur le PL21, que Québec Solidaire ne pourrait servir comme véhicule adéquat d’une telle option. D’ailleurs, je m’attends à ce que la référence à la souveraineté disparaisse tôt ou tard de son programme. QS se convertissant ensuite en un NPD de manière à reluquer les anglophones et immigrants naturalisés, clientèles toujours prisonnières du Parti libéral du Québec. Quant au Parti Québécois, comme l’écrivait le journaliste du Devoir, Michel David, il séjourne toujours aux limbes d’où l’a relégué le premier octobre.

Je conclus sur une note personnelle: je me désole de cette unanimité à la soviétique manifestée contre le PL21 par Projet Montréal et Québec Solidaire, sans que ne s’élève une seule voix dissidente. J’habite à Montréal depuis septembre 1968, et pour la première fois, je ne m’y sens plus tout à fait chez moi. « Exilé chez soi », n’est pas un oxymoron.