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15 août 2005

Passeport pour Lugdunum

Inutile de réserver une place d’avion, un simple billet de métro vous suffira, et un billet de banque sera votre passeport : destination Pointe-à-Callière, dans le Vieux-Montréal, et son Musée d’archéologie et d’histoire. La charmante, quoique modeste, exposition Rencontres en Gaule romaine offre au visiteur l’occasion de faire connaissance avec deux cités de la Gaule romaine, Lugdunum, devenue par la suite Lyon, troisième ville de France, et Vienna, l’actuelle Vienne, située à une vingtaine de kilomètres de la capitale de la région du Rhône. Visitez d’abord cette exposition pour la qualité des artefacts et ouvrages d’art présentés, parmi lesquels figure, au premier chef, ce fabuleux trésor de Vaise (quartier de Lyon), composé de statuettes, pièces de monnaie, bijoux aux pierres précieuses et couteaux en argent. Enfoui pendant dix-sept siècles, ce n’est que récemment que les archéologues l’ont découvert. Mais, d’autres pièces sont également remarquables : quelques mosaïques, de fragments de sarcophages, de plusieurs amphores. Et n’oublions pas cet objet d’importance vitale pour la compréhension de la société gallo-romaine, la dénommée table claudienne où est gravé le discours prononcé au Sénat de Rome par l’empereur Claude, qui a régné de 41 à 54 après Jésus-Christ, dans lequel ce dernier reconnaît l’appui des Gaullois dans la défense de l’Empire contre les barbares germains. Ce qui justifiait, à son avis, la plénitude des droits de citoyenneté romaine pour les provinces de la Gaule Chevelue (ou couverte de forêts) dont le droit de déléguer des représentants au Sénat de Rome. Mais, n’en restons pas au seul culte à rendre aux objets de valeur. L’intérêt véritable de ce genre d’exposition est de nous permettre de confronter « en trois dimensions » ce que nous apprenons de l’Antiquité par la lecture ou, le plus souvent, par les images déformantes des péplums hollywoodiens. Bref, de mieux connaître un espace-temps éloigné, une civilisation quoi. Entrevoir par là-même, ce qui demeure le plus difficile à reconstituer d’une civilisation perdue, son esprit. Autrement dit, comprendre la subjectivité, dans ses dimensions tant collectives qu’individuelles, d’ un habitant de Lugdunum sous le règne de l’empereur Claude. Certes, l’expérience de la vie variait considérablement selon qu’il s’agisse d’un patricien gallo-romain, d’un artisan libre, mais misérable, ou d’un esclave dépourvu de tout droit. Mais, ce qu’il importe de saisir, en lisant ou en fréquentant les musées, est cette appartenance commune à une culture et à une vision du monde, de leur monde, celui de l’Empire romain. Et quoi de mieux que de s’ attarder non sur la capitale de l’Empire, chef-lieu de tous les mythes, mais plutôt sur la réalité reconstituée par l’histoire et l’archéologie, d’une capitale de province. Une capitale provinciale, certes, mais bien intégrée à l’Empire romain, qui a constitué, pour utiliser un concept bien de notre époque, la première mondialisation de l’histoire, comme en font foi les amphores découvertes à Lyon et dans ses environs. Elles transportaient jadis des produits en provenance de tout l’empire et même au-delà. Si, de nos jours, il nous paraît légitime de nous interroger sur les méfaits d’une économie mondialisée, entre autres, au chapitre du nivellement culturel qu’elle entraîne, les objets présentés à Pointe-à-Callière demeurent des témoins, certes silencieux, mais comment loquaces, d’une époque où le commerce jouait un rôle pleinement civilisateur… Au sortir de cette exposition, je n’ai pu résister à la tentation de fantasmer sur les hommes gallo-romains que j’aurais rencontrés, moi Marcelus, une après-midi de printemps aux abords du bain public de Lugdanum… Votre passeport demeure valide jusqu’au 9 octobre, 2005.