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13 février 2008

Deux mythologies exposées

¡Cuba! Art et histoire de 1868 à nos jours Musée des beaux-arts de Montréal Jusqu’au 8 juin, 2008
Sur le plan strict de l’art, l’exposition en cours au Musée des beaux-arts de Montréal me déçoit. Qu'à cela ne tienne, son intérêt principal réside dans une confrontation, imprévue peut-être, entre les deux mythologies culturelles (et politiques) qui ont marqué la Perle des Antilles : celle des années quarante et cinquante, quand, sous un régime dictatorial aussi corrompu que répressif, La Havane connaissait un essor artistique remarquable et jouissait d’une animation nocturne trépidante. Bien qu’en déclin aujourd’hui, l’autre mythologie, soit la revolución castriste, amorcée en 1959, séduit toujours malgré les aspects répressifs et totalitaires de l’état l’ incarne. Comme quoi la séduction des mythes opère sur un autre plan que celui de la réalité historique, soit celui du désir. 
Sans grande originalité, les commissaires ont choisi de nous offrir un panorama de l’art cubain suivant un parcours chronologique. Si le visiteur ne s’attarde pas trop aux œuvres, somme toute médiocres, de la période postcoloniale (de 1898 aux années quarante), d’une évidente influence européenne, il s’arrêtera avec intérêt à une petite salle où on lui montra des extraits de disque, de films et des photos de l’époque dorée de la musique populaire cubain, celle qui animait la vie mondaine de La Havane des années 20 à 50. De quoi à me mettre à rêver et de me sentir là pendant un instant comme cela se produit en lisant un bon roman. Un voyage sans risque dans le temps et l’espace.
Côté art, c’est une rare occasion pour nous d’admirer les œuvres du plus grand artiste cubain, Wifredo Lam, qui a peint de saisissants portraits de figures tropicales en s’inspirant d’une approche surréaliste apprise lors de son long séjour à Paris dans les années trente.
Tout autre est la mythologie castriste, usée et discréditée par les nombreux abus du régime à l’encontre des droits de ses citoyens. Ici les saintes icônes poussiéreuses du Comandante supremo et de Che Guevara, promu depuis sa mort en 1967 en une espèce de saint laïc, créent en moi un indéniable malaise. A chacun d’y voir ce qu’il veut: propagande et compromission des artistes ou art révolutionnaire et voix de la libération des peuples opprimés par l’impérialisme... Tout compte fait, la corruption et la débauche d’avant Castro me fascinent davantage.
Pour moi, pour l’essentiel il s’agit d’une opération de propagande et de promotion des plaisirs tropicaux qu’offre l’île à l’intention des Montréalais grelottant sous le froid et la neige. Soulignons cependant cette touche d’ironie sophistiquée des commissaires qui ont placé comme toute dernière œuvre avant la sortie vers l’incontournable boutique, sur une grande table, une installation de cierges et bougies allumés représentant des immeubles et maisons d’une ville imaginaire (La Havane?). Il s’en dégage une ambiance presque religieuse, un rappel non du catholicisme mais de la Santería d’origine africaine, mais mal vu des communistes, et dont les rites font un large usage de bougies. Nous pourrions également y voir une veillée funèbre d’un Fidel Castro agonisant...