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03 mars 2015

« Les Piliers du trafic »



Intitulée « Les Piliers du trafic », la photo présentée ci-dessus est l'oeuvre de mon vieil ami Michel Gagnon. Il se passionne pour la photographie depuis à peine deux ans, mais il vient de créer avec son appareil une composition fort intéressante. Dès la première fois que je l'ai vue, elle m'a frappé, tel ce coup de poing, ce punctum dont parlait Roland Barthes. 

Où réside la clé pour réussir une photo percutante? Non pas tant dans la technologie, certes, sinon nous serions quotidiennement gâtés par tant de chefs-d’oeuvre, alors que règne plutôt la grisaille des images qui nous envahissent; non, en la matière, le succès est à mettre sur le compte du regard de la personne derrière l’objectif. Michel, depuis que je le connais, a toujours manifesté la soif d'observer et de regarder de plus près. Cependant, jusqu'à tout récemment, cette expérience du regard était dépourvue de moyens d'expression. La photographie et même la vidéo viennent combler ce manque. Certes, Michel demeure un "amateur ". Mais, en fin de compte, cette distinction entre les « pros » et les autres s’estompe au moment de tomber sous le charme ou la frayeur d’une oeuvre. 

Si Michel aspirait à un statut d'artiste, je ne le rangerais pas sous l'étiquette art contemporain, une appellation grandement discréditée à mes yeux par le flafla du fric spéculatif et par une offre marquée par le n’importe quoi. Au contraire, la photo de Michel renvoie bien davantage à cet héritage de la modernité artistique qui demeure malgré tout présent dans notre culture, si commerciale soit-elle. Ici, je pense tout de suite au couple de photographes allemands Hilda et Bernd Becher. Dans « Les Piliers du trafic », par un choix judicieux de l’angle de prise de vue, Michel nous montre une mégastructure de l'ère industrielle, en l'occurrence, une partie du tablier tout en hauteur du pont Jacques-Cartier, dont la courbe suggère un caractère biomorphique. Cette structure au gigantisme inquiétant repose sur un pilier de ciment et d'échafaudages métalliques fragiles, du moins d’apparence. Ce monstre de fer et de métal semble menacer l'être humain que symbolise cette vieille maison de pierres. Perdure, comme figée dans le temps, une tension palpable dans le ciel livide qui seul les sépare, pour le moment…

Notre époque connaît les bienfaits et souffre des inconvénients apportés par une grande vitesse des communications et par l'omniprésence d’appareils producteurs d'images, qui génèrent le plus souvent qu'indifférence chez le spectateur. Il est donc réconfortant qu'une photographie vienne secouer notre ennui. Bravo Michel!