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27 juin 2017

Critique : À la recherche d’Expo 67



Avec la fraîcheur de cette soirée de la mi-octobre, dans un autocar affrété pour un groupe scolaire, un garçon de 18 ans quitte, avec ses compagnons de classe, sa lointaine ville minière en route vers le monde. Le lendemain, il foule pour la première fois l'asphalte de la Métropole, qui, un an plus tard, deviendra son lieu de résidence définitif. Mais pour l’heure, pendant quatre jours, il sillonne sans arrêt le site d’Expo 67. Parmi les pavillons thématiques que le jeune homme visite figure celui de la Cité du Havre baptisé Le génie créateur de l’Homme, qui abrite une extraordinaire exposition de tableaux et sculptures prêtés par plusieurs pays représentés. Parmi ces chefs d’oeuvre de l’histoire de l’art, un en particulier émerveille ce visiteur peu rompu aux arts plastiques et qui lui a laissé un vif souvenir : un autoportrait tardif de Rembrandt. Au pavillon de France, un objet occupant son vaste atrium l’intrigue; semblable, croit-il, à une vaste toile d’araignée de câbles et de lumières, mais à lire le cartel il apprend qu’il s’agit d’un oeuvre de son et de lumière d’un artiste au nom grec inconnu de lui : Iannis Xenakis. Hélas!, ce jour-là l’oeuvre était en panne. Enfin, il s’arrête au pavillon du Canada. En entrant, l’impressionne vivement une œuvre en mouvement, elle aussi avec des effets de lumière et de sons. Cependant, il ne retient pas le nom de l’artiste. Ce bref séjour dans les Îles de l’Expo s’achevant, il s’efforce d’explorer le « monde » en parcourant de nombreux pavillons : États-Unis, Union soviétique, Grande-Bretagne, France, Allemagne, Iran, Tchécoslovaquie. À regret, le moment est venu pour le jeune homme de quitter l’Expo 67 et Montréal. Au retour chez lui, il retrouve l’ennui, la solitude et la grisaille habituels. Il reprend alors ses voyages imaginaires dans les livres et à la télévision. Pour cet adolescent qui deviendra non sans difficultés et tourments l’adulte que je suis, il s’agissait, sans qu’il en soit conscient, d’un voyage initiatique. 

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L’année en cours est bien pourvue de commémorations : 375 ans de la fondation de Montréal et 150 ans de la Confédération canadienne. Mais voici une autre, moins connue : les 50 ans d’Expo 67, qui demeure, sans conteste, la plus grande fête de l’histoire de Montréal, qui, d’ailleurs, ne risque pas de se reproduire. Mais avec le temps, le souvenir de cette année extatique chez les personnes de mon âge s’efface peu à peu. Sans qu’elle soit vraiment oubliée, elle meuble l’arrière-boutique de nos préoccupations.

L’initiative de la commémoration des 50 ans d’Expo 67 revient à quelques musées et à des institutions, parmi lesquels le Museé McCord, le Centre d’histoire de Montréal, le Centre de Design de l’UQAM, le Musée Stewart et le Musée d’art contemporain de Montréal (MACM), dont l’exposition, présentée jusqu’au 9 octobre, me retiendra pour la suite de ce texte. Coiffée d’un titre aux résonances proustiennes, À la recherche d’Expo 67 nous offre une exposition collective composée pour la plupart d’œuvres inédites, produites dans divers médias par une vingtaine artistes actifs à Montréal ou ailleurs au Canada. Tous nés après 1967. Les commissaires leur ont demandé de « s’inspirer » des archives imprimées et visuelles d’Expo 67 non pas pour s’adonner à la nostalgie, mais dans une « approche critique ». Le sens galvaudé de ce dernier mot en art contemporain m’a immédiatement mis sur mes gardes. En effet, dès mon premier contact avec ces œuvres, je savais que cette exposition allait me décevoir. Comme le signal d’une sonde lancée dans l’espace lointain qui nous transmet une image floue, cette exposition du MACM, par delà l’intérêt d’une œuvre particulière, donne une idée très peu précise de ce que représentait l’Expo 67. Je veux bien convenir que, devant son gigantisme, le choix des commissaires ne pouvait qu’être une mosaïque faite de fragments. Ce qui me désole le plus, c’est, qu’en aucun moment de mon parcours, n’ai-je reconnu cette poésie sensible des couleurs et des parfums qui se dégageaient de cette grande fête, à laquelle j’ai eu le privilège,pendant quelques jours, d’assister. Plutôt un froid interstellaire! 

Cela dit, quelques productions méritent la mention : de Marie-Claire Blais, une vidéo sombre, presque moyenâgeuse dans l’allure des personnages; de Chris Salter, une reconstitution à échelle réduite de l’installation Polytopes de Xenakis, au pavillon de France. De quoi nous donner une idée du spectacle original; de Stéphane Gilet, oeuvre que j’ai loupée, mais dont un ami m’a dit le plus grand bien : un plan détaillé des pavillons en multimédia. 

Mon propos ne cherche aucunement d’accabler les artistes pour, en vérité, une exposition ratée. Chacun a répondu à l’appel à l’intérieur des limites de son talent et de sa posture esthétique. Par contre, je regrette que le Musée d’art contemporain de Montréal ait oublié le mot « musée » dans leur désignation officielle, depuis sa création en 1964. Or, la mission d’un musée en plus d’acquérir des œuvres et d’en assurer la conservation et la diffusion auprès du public, se doit de favoriser l’étude d’oeuvres d’art du passé, souvent injustement négligées. Mais voilà que le MACM, propriétaire d’une riche collection, n’a pas cru bon de nous montrer des œuvres présentées à Expo 67, crées par d’artistes d’ici ou d’ailleurs. 

Un exemple : cette œuvre qui m’avait tant impressionné, au pavillon du Canada. En écrivant ce texte, j’ai enfin eu la curiosité de rechercher l’identité de son auteur, un certain Richard Lacroix, né en 1939. Un ami, qui l’apprécie, dit posséder l’une de ses gravures. Voilà ce que le MACM aurait pu ou dû programmer : un retour sur un artiste comme celui-ci. Tirer de l’oubli, qui guette tant d’artistes et de créateurs me semble un devoir pour un musée, celui de montrer à un public plus jeune des œuvres du passé, et les soumettre à une évaluation à la lumière des critères actuels.

Quant à l’oeuvre de Richard Lacroix, intitulée Fusion des arts, voici ce qu’en écrivait dans la revue Vie des arts, à l’automne de 1967, le futur professeur de l’histoire de l’art à l’UQAM, Yves Robillard : Il s'agit là de trois disques en plexiglass coloré et transparent, trois disques qui ont chacun leur mouvement rotatif et sont éclairés par divers jeux lumineux créant à travers et autour d'eux une ambiance spéciale. Ces disques sont montés sur une armature de tiges d'acier qui semble très compliquée. Ils donnent l'impression qu'ils vont toujours se heurter, mais réussissent néanmoins à s'éviter de justesse. Ils ressemblent à ce qu'on imagine être des soucoupes volantes et tout le spectacle suggère d'ailleurs au visiteur une sorte de réseau de communications interplanétaires. Le spectateur est d'abord intrigué, s'approche, entend alors des sons qui sont à l'antithèse de cet appareil, vraisemblablement de haute technologie, des bruits de casseroles et de sifflets essoufflés. Il découvre que c'est l'armature d'acier qui, en tournant, frappe gauchement sur des petites plaques posées ici et là à dessein et pèse sur des sifflets égarés : l'effet de sérieux est anéanti. L'artiste a voulu signifier que malgré la technologie, malgré l'anonymat, ces fabrications devaient toujours être humaines et laisser place à l'éclat de rire.

Dommage que le MACM n’ait pas eu la présence d’esprit de saisir l’opportunité offerte par la commémoration du cinquantième d’Expo 67 pour nous offrir une exposition marquante.