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04 juillet 2018

Recul de la culture


Montréal, été 2018. En plein festival, sur une scène de théâtre, un spectacle. Dehors, dans la rue, une poignée de manifestants s’époumonent à lancer des slogans coup de tonnerre. Succès médiatique de l’anti-spectacle; gestion de crise pour le spectacle. Cet affrontement, relayé par les médias qui nous régissent, ne représentent qu’un symptôme de plus du recul de la culture. 

Ma soixante-dixième année amorcée, le moment semble propice pour jeter autour de moi un regard panoramique. Hélas!, le spectacle du Monde n’est guère encourageant. Certes, il y a eu au siècle dernier des époques plus sombres encore, voire terrifiantes. Mais au moins perdurait alors le partage admis entre la culture et l’anti-culture. Et dans l’univers de la culture prospérait malgré tout une culture commune, dont les oeuvres littéraires, philosophiques, musicales et plastiques, au-delà des polémiques qui se faisaient jour autour d’elles, donnaient forme et consistance à cette culture commune. 

Tout ce « patrimoine »  de nos jours est décrié, balayé, trituré, édulcoré, oublié. Paradoxe suprême : à l’heure de la diffusion universelle et de la communication instantanée, la culture, tant du côté des arts que de nos manières de vivre, est divisée, segmentée, fragmentée, sectionnée, cantonnée, dans un gigantesque chacun pour soi, d’où les passerelles se raréfient.

Les grands mouvements sociaux surgis au cours des années soixante et soixante-dix furent, je crois, le dernier grand moment d’une offensive sur la ligne du front séparant la culture et l’anti-culture, et cela au profit d’un élargissement de la culture commune pour y faire place aux arts et aux manières de vivre de territoires périphériques et de populations jusqu’alors marginalisées. Mais voilà déjà quelque temps que ces mouvements ont disparu. Le souvenir d’un magnifique halo crépusculaire de leur déclin a longtemps pu faire croire à leur survivance. Pourtant, on peut observer à l’oeil nu les traces laissées par leur passage et repérer comment ceux-ci ont modifié nos sociétés et nos cultures au cours des décennies suivantes et jusqu’à nos jours. Depuis longtemps convertis en mythes, ces grands mouvements sociaux disparus font toujours sentir leurs effets et avivent notre tristesse d’une perte et notre angoisse d’un monde naissant autrement plus dur et incertain.